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Réinventer l'amour: Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles

by Mona Chollet

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Key Insights & Memorable Quotes

Below are the most popular and impactful highlights and quotes from Réinventer l'amour: Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles:

“Devenir indépendante signifie donc remettre de l’ordre en soi, et non renoncer à toute vie sexuelle ou amoureuse – loin de là. À part dans un cas, peut-être : quand nous entretenons des relations suivies ou épisodiques avec des hommes non par réel désir, mais par addiction à leur regard, par conformisme, parce que cela « se fait », ou par peur d’être seule. Certaines jugent alors indispensable d’apprendre à s’en passer complètement, pour y revenir plus tard en ayant bâti un socle d’autonomie. Dans Une révolution intérieure, Gloria Steinem évoque une musicienne de sa connaissance, du nom de Tina, qui avait l’habitude de lâcher tout ce qu’elle était en train de faire dès qu’un homme lui manifestait de l’intérêt. Elle finit par prendre une mesure radicale : « Pendant cinq ans, elle composa, voyagea, vécut seule, vit des amis, mais elle refusa toutes les sollicitations masculines. Elle répara sa maison, prit des vacances dans des lieux inconnus et enseigna l’écriture de chansons. Elle vécut une vie pleine, mais une vie qui n’incluait ni sexe ni romance. » Au début, ce fut difficile : « Sans se voir à travers les yeux d’un homme, elle n’était même pas sûre d’exister. Mais, peu à peu, elle commença à prendre plaisir à se réveiller seule, à parler à son chat, à quitter une fête quand elle en avait envie. Pour la première fois, elle sentit son “centre” se déplacer des hommes à un nouveau lieu à l’intérieur d’elle-même. » Au bout de cinq ans, elle rencontra un homme très différent de ceux qu’elle attirait et qui l’attiraient auparavant, et elle l’épousa.”
“La plupart du temps, d'ailleurs, les femmes qui ont un compagnon fermé sur le plan émotionnel expriment un profond désespoir. Quand Shere Hite a mené son enquête auprès de 4 500 femmes dans les années 1970, 98 % de celles qui étaient dans une relation avec un homme auraient souhait un « dialogue plus intime » avec lui ; elles auraient voulu qu'il leur parle davantage « de ses pensées, sentiments, projets, préoccupations, et qu'il les interroge sur les leurs ». Certaines disaient ne s'être jamais senties aussi seules qu'au cours de leur mariage ; d'autres en pleuraient, la nuit, aux côtés de leur époux endormi. Il n'est pas certain que les choses aient radicalement changé en cinquante ans (ni qu'elles soient très différentes de ce côté-ci de l'Atlantique). En février 2021, dans le courrier du cœur du site américain The Cut, baptisté « Ask Polly », une trentenaire britannique partageait les dispositions dans lesquelles elle se sentait après une rupture. Dans leur entourage, disait-elle, tout le monde les considérés, son ex-compagnon et elle, comme le couple idéal. Et pourtant, son désir d'intimité avait toujours été frustré. « Je pense qu'entretenir une relation profonde, intensément nourrie, avec une autre personne fait partie des plus grandes joies que l'existence puisse vous apporter », écrivait-elle. Elle estimait aussi que faire son propre « travail de l'ombre », essayer de se comprendre soi-même, était un des aspects « les plus fascinants et les plus urgents » du fait d'être en vie. Lui, en revanche ne comprenait pas ce qu'elle voulait de lui et trouvait qu'elle compliquait les choses inutilement. Autour d'elle, elle voyait un grand nombre d'autres couples dans lesquels la femme espérait elle aussi de son partenaire le même investissement émotionnel et réflexif que le sien - en vain. Elle en venait à ne plus jamais vouloir être en couple avec un homme « qui n'aurait pas suivi une thérapie », clamait-elle. (p. 204-205)”
“En attendant, bien des hommes restent des « menhirs ». Et le plus triste est peut-être que nous en arrivons à érotiser leur froideur et leur mutisme, à y voir du mystère, de la profondeur, un trait viril et attirant. C'est ce qu'une de mes amies et moi avons baptisé l'« effet Don Draper ». Au cours d'une conversation, nous avions essayé de cerner ce qui rendait le héros de la série Mad Men aussi séduisant, et nous étions arrivées à cette conclusion : l'attitude de ces hommes est si frustrante que la moindre ouverture de leur part, le moindre échange authentique, si timide et éphémère soit-il, sont vécus comme une épiphanie bouleversante. Le gars vous grommelle trois mots un peu personnels et vous vous convulsez d'émotion sur la moquette, foudroyée par cet instant de communion sublime. (p. 203)”
“Si les femmes peuvent si souvent passer pour des créatures capricieuses et tyranniques, aux demandes affectives exorbitantes, et les hommes pour des êtres solides, autonomes, à la tête froide, c'est parce que les besoins émotionnels des seconds, contrairement à ceux des premières, sont pris en charge et comblés de manière aussi zélée qu'invisible. Quand une femme est cataloguée comme trop exigeante, elle ne fait bien souvent que réclamer la réciprocité des attentions qu'elle prodigue. (p. 190)”
“« Les femmes aussi sont violentes, au moins psychologiquement » ; tel est l'argument classiquement utilisé pour nier la dimension de genre des violences au sein du couple. Il suggère que les victimes chercheraient les coups en maltraitant émotionnellement leur compagnon, en visant là où ça fait mal, au point de le faire sortir de ses gonds. Or il existe d'autres situations où les hommes peuvent subir des brimades et des humiliations, à commencer par le travail. Pour autant, les coups infligés à un supérieur hiérarchique, un contremaître ou un patron ne sont pas un fléau social, et nous ne tenons pas un décompte d'homicides dont ceux-ci seraient régulièrement victimes. Pourquoi serait-il possible de réfréner ses pulsions dans le contexte professionnel, et pas face à une femme ? Et, plus largement, pourquoi les hommes seraient-ils les seuls à ne pas pouvoir se maîtriser quand ils subissent un affront ou une humiliation ? Ce préjugé empêche aussi de voir les nombreux cas où la violence physique est exercée de manière froide et réfléchie. Par ailleurs, cette image des femmes comme des créatures à la parole venimeuse, capables de faire du mal de façon sournoise, comme on jette un mauvais sort, me rappelle la défiance à l'égard de la parole féminine qui se manifestait à l'époque des chasses aux sorcières. Quoi qu'il en soit, évoquer l'oppression subie dans une très grande majorité des cas par des femmes au sein du couple n'implique pas qu'elles seraient pour leur part incapables de la moindre violence, physique ou psychique. Cependant, du fait qu'elles sont structurellement en position de faiblesse, que la société autorise et favorise la violence chez les hommes et la décourage chez elles, le plus probable est que ces actes ou ces paroles restent dérisoires, et essentiellement réactifs ou défensifs. (p. 106-107)”
“La violence au sein du couple profite de la fragilité de la position des femmes dans al société. Se référant aux travaux de sa consœur américaine Sandra Lee Bartky, la philosophe Camille Froidevaux-Metterie parle de la honte comme « structurellement féminine ». Elle la définit comment un « sentiment permanent d'inadéquation par lequel les femmes se sentent imparfaites, inférieures ou diminuées, ce qui permet aux mécanismes de la domination masculine de perdurer ». Ainsi, « la honte devient un véritable mode d'être-au-monde féminin qui fait le lit de la violence conjugale et des féminicides ». Il ne s'agit surtout pas de prétendre que, par leur manque de confiance en elles, les femmes susciteraient les mauvais traitements qu'elles subissent : nous reprocher un conditionnement qui nous dessert reviendrait à nous infliger une double peine. Les seuls responsables des violences sont ceux qui les commettent et la culture qui les y autorise - culture que nous allons tenter d'étudier ici. Mais de même qu'on peut rappeler haut et fort que la seule cause du viol, c'est le violeur, tout en enseignant l'autodéfense physique, on peut chercher à développe une forme d'autodéfense psychologique. (p. 102)”
“Quand la sexologue Shere Hite a récolté les témoignages de quelque 4 500 Américaines sur leur vie amoureuse et sexuelle, dans les années 1970, nombre d'entre elles ont déclaré que leur mari ou compagnon avait une attitude condescendante, arrogante ou carrément insultante. Il les rabaissait ou les disqualifiait, tournait en dérision leurs opinions ou leurs centres d'intérêt. « Il me parle sur un ton qui me fait me sentir inepte et stupide » ; « Il se comporte comme s'il savait tout » ; « Il a des attitudes paternalistes, comme son père. Sauf qu'il le voit chez son père, mais pas chez lui » ; « Il estime que sa parole a force de loi » ; « À une époque, il me faisait la leçon comme à une gamine. Mais je ne l'ai pas lâché avec ça et il a fini par arrêter »… Aux antipodes de cette assurance masculine, les femmes intègrent très tôt une tendance non seulement à pratiquer l'introspection et à se remettre en question (ce qui est plutôt positifs), mais aussi à douter d'elles-mêmes, à se culpabiliser sans cesse, à penser que tout est de leur faute ou de leur responsabilité, à s'excuser d'exister (ce qui est nettement moins bien). Cette tendance nous affaiblit considérablement dans un rapport amoureux, surtout quand il se révèle abusif. (p. 102)”
“Soulever la question de la fétichisation amoureuse et sexuelle suscite en général de vives protestations, et expose à se voir accusé de vouloir faire la « police des couples ». Les inclinations personnelles, surtout dans ce domaine, ne se discuteraient pas. Ce serait donc pure coïncidence si les « inclinations personnelles » des millions d'hommes qui fantasment sur les femmes asiatiques se rejoignent… Le plus vraisemblable est cependant que nos goûts, là encore, sont tributaires des préjugés et des représentations en circulation dans nos sociétés, dont nous sommes forcément imprégnés. L'autrice Dalia Gebrial remarque que l'amour, « représenté comme un royaume des affects apolitique, transcendant, dans lequel on tombe malgré soi, est en réalité profondément politisé, et lié aux violences structurelles plus larges auxquelles l'ensemble des femmes racisées, en particulier, doivent faire face ». (p. 95)”
“J'ai cité dans Chez soi les très belles lignes de Serge Rezvani sur les « surprises de la répétition », sur l'intérêt merveilleux qu'on peut trouver à renouveler chaque jour des gestes et des rituels qui sont chargés de sens à nos yeux, en apprenant à apprécier leurs plus infimes variations, comme une palette qu'on élargit et enrichit sans cesse. J'en trouve un autre éloge chez la philosophe Séverine Auffret : « Un accroissement continuel de jouissance nous vient de l'audition répétée d'une musique. La première audition n'emporte pas notre adhésion. C'est à la deuxième, à la troisième, à la suivante que le plaisir s'affirme, semblable à ce rythme propre du corps tout de scansion, de répétition : parcours d'un même espace, réitération d'un même geste ; cette demande qu'on fait dans le coït, comme le petit enfant qu'on berce, jette en l'air, soulève, balance : "Encore !" » (p. 46)”
“Des partenaires qui se confirment à la lettre à leurs scripts de genre respectifs ont toutes les chances de se rendre très malheureux. Ces scripts produisent d'un côté une créature sentimentale et dépendante, aux demandes tyranniques, qui surinvestit la sphère affective et amoureuse, et de l'autre un escogriffe mutique et mal dégrossi, barricadé dans l'illusion d'une autonomie farouche, qui semble toujours se demander par quel dramatique manque de vigilance il a bien pu tomber dans ce traquenard. (p. 15)”
“J'aimais cette idée d'un homme qui voit clair en vous et qui prend l'initiative du rapprochement ; ce qui, probablement, révèle surtout à quel point j'étais tétanisée à la perspective de devoir formuler ou assumer mes désirs, ou de devoir prendre moi-même une initiative quelconque - revoilà le rêve d'être prise en charge par un homme providentiel, que j'évoquais au chapitre précédent. (p. 236)”
“L'un des plus gros problèmes qu'identifie Jane Ward, c'est le « paradoxe de la misogynie » (un paradoxe dont Donald Trump est sans doute l'incarnation ultime) : le fait que les hommes hétérosexuels expriment leur désir pour les femmes au sein d'une culture qui les encourage à mépriser et à haïr les femmes. Cette association entre hétérosexualité et misogynie a été si bien naturalisée que, symétriquement, l'absence de machisme est interprétée comme un signe d'homosexualité. (p. 23-24)”
“En attendant, bien des hommes restent des « menhirs ». Et le plus triste est peut-être que nous en arrivons à érotiser leur froideur et leur mutisme, à y voir du mystère, de la profondeur, un trait viril et attirant. C’est ce qu’une de mes amies et moi avons baptisé l’« effet Don Draper ». Au cours d’une conversation, nous avions essayé de cerner ce qui rendait le héros de la série Mad Men aussi séduisant, et nous étions arrivées à cette conclusion : l’attitude de ces hommes est si frustrante que la moindre ouverture de leur part, le moindre échange authentique, si timide et éphémère soit-il, sont vécus comme une épiphanie bouleversante. Le gars vous grommelle trois mots un peu personnels et vous vous convulsez d’émotion sur la moquette, foudroyée par cet instant de communion sublime. De fait, certaines des scènes les plus marquantes de Mad Men sont celles où ce héros barricadé derrière ses secrets laisse entrevoir ses sentiments, sa vulnérabilité, son âme. Il se livre rarement à ses épouses successives, Betty et Megan, femmes-trophées à la beauté spectaculaire avec lesquelles il entretient des relations convenues (et oppressives), mais plutôt à d’autres femmes : sa collaboratrice Peggy Olson75, ou Anna Draper, la veuve de l’homme dont il a usurpé l’identité. Toutefois, si ce mécanisme peut donner de splendides moments de télévision, dans la vie, il encourage surtout les femmes à repartir pour six mois, ou dix ans, de maltraitance psychologique, dans l’espoir – en général vain – qu’un jour le miracle se reproduira et s’installera dans la durée pour devenir la normalité. On voit mieux combien cette situation est intenable si on transpose la disette émotionnelle à d’autres de nos besoins : certes, quand nous souffrons de la faim, un quignon de pain rassis peut prendre des allures de festin insensé ; quand nous mourons de soif, une gorgée d’eau croupie nous semble d’une fraîcheur merveilleuse. Pour autant, pouvons-nous nous condamner à un régime aussi pauvre et triste ? Pouvons-nous en faire un principe de vie, et nous priver des nourritures aussi variées que fabuleuses, des mille boissons délicieuses qui existent sur Terre ?”

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